5 éléments du Louvre :
Il y avait un collier en Lapis-lazuli aux Egyptiens que j’aurais volé pour elle mais la horde de japonais flashant de tous bords m’aurait prise sur le fait.
Il y avait des sarcophages en bois peint et sculpté vieux de 4000 ans, 2000 ans avant JC c’est à égale distance de ce qu’on est maintenant, quand là on considère JC comme l’origine et le moyen age comme l’antiquité. Deux fois mille ans avant JC ça n’a pas de sens. C’est fou comme une culture est une échelle aussi petite qu’une vie d’une personne, à une certaine échelle (mais on se souvient de la mort d’une culture).
Il y avait la grande galerie de peintures italiennes du XVe-VIIIe tapissée de toutes les expressions imaginables de la douleur ça m’a rendue malade, c’est quoi, le problème de notre culture pour que ce soit une telle souffrance qui figure sur les icônes ? Un monde fou passant et repassant dans l’indifférence devant les crucifiés, les éplorées et les criblés de flèches et commentant l’organisation du tableau. Des malades. Nietzsche a raison.
Dans la salle des instruments de musiques archaïques j’ai pensé à elle et aux patins dans la même salle du MET.
Dans les sarcophages des morts les égyptiens glissaient plein de petites figurines pour qu’elles fassent les corvée à la place du mort dans l’au-delà, ils ne perdent pas le nord.
Sur Soljenitsyne –les humains sont d’une folie atroce mais après tout le Goulag montre que le goulag est une vie et une vie est potentiellement abyssale, même dans le goulag. La possibilité du vécu est une chose merveilleuse –l’individuation, la capacité, la mémoire, la compréhension, la force, le cheminement, l’appropriation (merveilleux concept heideggérien, je veux dire par vécu le processus qui mène à s’approprier sa propre essence, qui n’est rien d’autre elle-même que ce processus évidemment), et le tout livré à la contingence !!! Merveille. C’est pour ça, et seulement pour ça que 4000 ans ce n’est pas vain, que 4000 ans c’est supportable, car une seconde n’a rien à voir avec une seconde ni un être avec un être. 4000 ans ne m’étouffe pas, ne change rien.
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Paris 2
On a encore parlé des morts et des morts en bien quand ils étaient vivants, de ma grand-mère chimeuse quand elle était petite et pas la personne grandiloquente et tragique que je connais, elle en est attendrissante, drapée dans son drame. Du grand-père mythique en fait lâche, du désamour dans tout ça payé si cher, le tout sur un ton léger et réaliste que je n’avais jamais entendu. Des détails sur tous ces gens qui ne sont plus que poussière depuis des lustres (ses parents à elle) et dont seule la dernière qui me parlait se souvient sur la terre entière. Et tous ces gens dont ses parents se souvenaient et dont personne ne se souvient… c’est horrible. Vertige…bientôt elle, bientôt mon père, moi, pouf, disparus, pour le coup ça n’a aucun sens… Je ne sais pas quoi faire de ça. Je n’ai pas de solution pour ça.
Et alors là j’étais à la fenêtre, je pensais à tout ça et je me disais encore comment porter tout ça en moi-même alors que ça n’a pas de sens, et là je laissais voguer mes pensées et tout d’un coup je me rends compte que pensant à ma vie c’est à ces dernières années, que je ne dois qu’à moi, que je pense naturellement, les vieilles histoire n’ont pas de poids alors qu’elles faisaient toute ma vie longtemps, c’est fou comme ça se construit brusquement une vie, petit tas redevable à rien d’évènements empilés, elle n’est que ça et tout d’un coup une vie singulière existe, ne se réduit plus à ça, plus à rien d’autre. Pour décrire la prise de conscience sur le balcon: au moment même où je pense que cette histoire est une prison je vis le fait d’en être totalement libéré. Tournant ! –les tournants de balcons sont les plus vertigineux souvent-
Peut-être qu’il ne s’agit que d’une pile dont le fond se tasse et s’écrase et que tout est réductible à du quantitatif, les évènements de quelque nature –qualité- qu’ils soient se poussent les uns les autres. Quantitatif.
Je ne me sens quand même pas trop magique ces jours-ci, trop de gens autrement géniaux, trop différents de moi et c’est eux qui ont raison, ils sont cools et ils ont l’air heureux, et criss’ ils ne voient rien selon les même règles que moi, c’est bon pour mon ego –les recherches d’apparts m’ont toujours changée en un tas de ruines surtout l’automne dernier…mais je ne m’en rends compte que plus tard quand des semaines après j’ai tout un carnage relationnel autour de moi et je vois que je suis hyper fragile paranoïaque et toute émiettée de la confiance en soi. En espérant qu’il y ait l’amour pour me reconstruire. -
Paris 1
-un moustique passe, celui qui me pourrira ma nuit plus tard, qui tout fluet maintenant sera comme une amphore demain matin-
Paris c’est bien mais je suis fatiguée, je marche tout le jour et le soir je parle des morts avec marraine qui pour ses 86 ans est incroyablement allumée, et sa fille qui m’a toujours un peu fascinée. Soljenitsyne avance à grands pas dans les transports en commun, ce livre est GRAND. Pas grand-chose à dire sur l’atmosphère parisienne que je me surprends à ne trouver ni critique ni hostile alors que j’aime. Les médias français mentent donc terriblement aux médias canadiens –oui, Paris est viable, oui, la France existe encore. Et je sais m’engouffrer d’un RER à l’autre comme si c’était inné, je vais assez bien comme quand on voit tout en terme de possibilité –il faut vraiment que je bute ce moustique-.
Ca me fatigue que les gens meurent et qu’on me parle de mon papa jeune charmant et gentil « c’était un amour » disent-elles. Parmi tous les gens proches morts ces dernières années il pourrait être en enfer avec tatie Maggie et tonton Denis. Papi, Manou, Renée et Andrée ne risquent rien, Pierre non plus. Manou ce n’est pas de sa faute, elle pensait qu’elle était toute puissante (ça vaut l’enfer, remarque justement) elle n’a pas réfléchi et elle a payé dans (par) sa vie mortelle, or le reste n’existant pas –la veille de sa mort elle a dit « je pensais retrouver Michel mais en fait je sens que ça ne va pas arriver »-…Elle est morte d’un cancer de l’utérus parce que papa, la culpabilité et l’amour démesuré (hubris !!) ont tué son utérus et elle-même. -
le deuil de moi de maman
En l'occurrence ce qu'il se passe c'est que ma mère est complètement hétérogène (c'est le bon mot) à la chose (le fait que je sois amoureuse de mon amoureuse), et je ne vois pas comment elle pourrait être en passe de le comprendre dans la mesure où c’est une forme du ressenti qu’elle n’a jamais éprouvée –et surtout qu’elle sent qu’elle n’aurait jamais pu éprouver- ce qui fait qu’elle ne peut pas traiter l’information (puisque c’est toujours à partir de nos expériences passées qu’on traite les nouvelles infos par des systèmes d’analogies, et là il n’y a aucune analogie possible avec des choses qu’elle aurait ressenties puisque pour elle mon amour pour mon amoureuse c’est le trouble et elle n’a jamais ressenti que du clair comme de l’eau de roche), elle ne peut pas se mettre à ma place et la compréhension passe toujours par une forme d’empathie. Alors il n’y A PAS de voie de résolution. C'est un processus de deuil, qu'elle entame, le deuil de toutes ces choses à partager avec moi, de toutes ces choses qui l'ont rendu heureuse (la vie de famille, un homme, l'altérité) et qu'elle souhaite bien naturellement pour ses enfants alors ça la rend malheureuse de faire son deuil de mon bonheur, parce que c’est ça que ça veut dire pour elle. Et faire le deuil du bonheur de son bébé c’est pas facile, surtout si c’est dû non aux circonstances (ce qui laisse une ouverture) mais à un vice structurel ; vice structurel duquel au demeurant elle se sent responsable en bonne freudienne.
Moi je fais mon deuil de ma relation avec maman, celle de partager toutes ces anticipations du bonheur comme une fille prépare son mariage sous l’œil tendre et taquin de sa mère; c'est dur chiant injuste et désolant, surtout si l'on voit le rôle qu'a joué ma "normalisation" de ces dernières années dans l'amélioration de nos relations (ou du moins la correllation), et qui m'a rendu très heureuse et profondément détendue.
Si on voit ce processus de deuil comme une résolution alors oui, c'est bien; mais moi je vois ça comme un naufrage et je ne peux pas m'empêcher de souhaiter avoir pu maintenir le bateau à flot, même porté par un "lie by omission". Si au moins j'étais gay ce serait plus simple, je pourrais automatiquement me mettre en position de revendication de mon identité ce qui me donnerait de la force, ou plutôt ce qui aurait tellement de force (mon identité) en soi que je n’aurais pas le choix de l’affirmer, le dire, le faire accepter. Là je n’ai pas cette source de force là parce que comme j’en ai parlé souvent je ne suis pas gay, je veux des maris et des bébés et tout ce pan de vie me rendrait au moins aussi heureuse que ma mère et je suis bouffée par la même déception qu’elle et je dois faire le même deuil, sauf qu’en plus il s’agit de moi (je dis en plus mais je ne sais pas si c’est plus difficile de faire le deuil du bonheur de soi-même que de celui de son enfant. Au moins moi je ressens l’impératif de l’amour qui justifie tout, alors c’est dommage mais c’est juste). C’est très bizarre de l’entendre se lamenter et d’avoir juste envie de me lamenter avec elle, et non pas de la contredire et cheer up. Sa déception fait écho à la mienne y en a pas une pour aider l’autre, alors en plus elle me voit l’approuver et être assez malheureuse moi-même de mon sort ce qui la rend encore plus enragée devant mon incompréhensible impuissance, parce que si ce n’est pas mon essence, alors je pourrais...
Mais je ne peux effectivement pas lui rendre compréhensible ce qui m’est moi-même incompréhensible, et je ne peux pas lui rendre heureux ce qui m’est moi-même malheureux (le fait d’avoir un mari des bébés et une maison avec tondeuse à gazon).
Mais j'ai l'amour et les étoiles du ciel. -
cohérent
Elle me fige dans une identité quand moi ce qui m'aide à ne pas mourir de responsabilité ontologique c'est de penser que je n'ai pas d'essence, que ça va bien aller, que les choses sont fluides et complexes, que ce que je fais maintenant ne décide pas des choses pour toujours. Ce qu'évidemment je ne suis pas encline à penser puisque je raisonne toujours en terme d'essences et je n'ai pas besoin d'entendre ce que je lutte pour ne pas me dire, qu'il est temps pour moi de résoudre la question de "ce que je suis" parce que "merde, hein, à moment donné il faut être cohérent". Cohérent avec quoi?
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Dans la chaleur torride
Dans la chaleur torride je tente de ramasser les morceaux et tout ici est saturé de connotations que j’espérais perdues (je mens) mais qui n’étaient qu’enfouies. La collision des mondes est toujours violente. Le refus de ma mère me donne juste envie de repartir en exil. Tout semble fêlé et difficilement résistant à l’étau des radicales parenthèses de la vie de famille qui réduit à néant tout le chemin, tout l’être. Vie de famille pas mal réduite à néant au demeurant.
Suffit-il de rebondir encore…
Et encore !
On peut faire ça !
Des obsèques, énième fin de la vie de famille, mercredi. Elle m'a attendu, celle-là, au moins! -
cumulus
Il y avait un château caché dans celui-là c’est sûr, comme une louche de glace à l’italienne jetée à la spatule sur un sol déjà de crème, pommelé infini, loin en bas le château (le cumulus) se perd pourtant bien au dessus de moi dans un autre toit pourtant presque tangible, nous sommes immobiles dans l’air gelé stérile et pur. Hors proportions humaines ! Il y a un noyau qui rayonne fort au centre dont on perçoit le pulse comme des éclairs intérieurs. Il trône, royal, comme un pilier d’un autre toit loin au dessus, pommelé lui aussi du blanc le plus pur. D’un diamètre comme trois cités. Irradiant la lumière, la rayonnant ou la captant et la transformant en lumière divine rayonnante mais si contenue, en simple lumière du couchant. Le reste du royaume où sonne l’harmonie des astres, on sait sous quelle autorité il est soumis, mais oups, là on ne devrait pas être, ou juste le contempler du coi de l’œil comme je suis en train de faire, d’un clin d’œil clandestin pour l’éternité qui rachète tout, d’une douceur… je l’ai vue, les fesses callées dans l’allée bloquant le chemin pour hôtesses et stewards. Le nuage parle, il envoie des échos à ses semblables dont j’entrevois la silhouette (car il n’y a qu’elles sous le soleil) comme le Mont Blanc échange des avis avec l’Annapurna. Ils parlent de tout sauf de nous. Ils s’emmerdent peut-être. Moi je voyais tout, par le petit trou (ils ne savaient pas que j’étais mortelle alors faisant taire mon cœur et mon souffle toxique pour la quintessence je suis restée un tout petit peu, car je me garde aussi un peu de surprise pour plus tard) et je les aurais entendu chanter si j’avais déjà eu la bonne nature. L’air cristallin, dense de cette vibration harmonique, bruit nonchalant d’une vie nonchalante parce qu’au dessus de la vie.
J'ai fait bon voyage!