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reprises destinées

  • Plumed Serpent 2. Personnages et insatisfaction.

    Le Plumed Serpent, très inégal, les personnages trop décrits -donc trop extérieurs à nous- on ne sait trop de quel point de vue omniscient, on croit que le personnage principal c’est Kate puis au beau milieu du roman tout d’un coup l’auteur change de protagoniste et pour un chapitre commence à nous décrire le point de vue (la vie intérieure) de Ramon et Cipriano et cela très maladroitement, nous donnant l’impression qu’il opte par paresse pour la solution de dire les choses au lieu de nous les faire comprendre (à travers le regard de Kate ou autre), qu’il nous fait un petit topo parce que ça l’arrange pour plus tard. Mais là je ne vois pas comment ce petit saut en Ramon et Cipriano se justifie dans l’articulation du roman (dans son dynamisme interne), la narration oscille et hésite entre un mode et l’autre, hésite, girouette, et opte toujours pour ce qui est le plus simple (et laisse du coup l lecteur comme 2 ronds de flanc). Si c’est comme ça on n’a pas besoin de le construire, un roman.
    Et de toute façon cette mise au point sur Ramon et Cipriano par focalisation interne vient un peu tard, le lecteur s’est déjà fait une impression d’eux à travers Kate, heureusement. Cela par contre, au début, ne nous est pas autorisé pour cette dernière, que l’auteur nous livre toute composée. Au moins, les deux autres on peut les mettre en question nous-mêmes puisqu’’ils nous sont donnés seulement à travers le regard de Kate (et non par une description extérieure), parce que : si ça n’a pas de sens de discuter la description livrée de l’auteur (pour Kate par exemple, donc on prend Kate telle qu’il nous la donne sans aucun jeu ou marge de manoeuvre), on peut le faire ce la perception qu’on a d’un personnage donné à travers le vécu d’un autre personnage. Soit : Ramon et Cipriano apparaissent dans la vie de Kate, que nous suivons, mais à cette perception ils ne se réduisent pas. [alors qu’encore une fois il est presque absurde d’affirmer la transcendance du personnage par rapport à ce que l’auteur nous donne, sauf si l’on a le goût des noumènes] Il y a du jeu entre le regard de Kate et le notre, il y a une possibilité (c’est pour ça que dans Faulkner c’est toujours un personnage qui raconte, comme ça on peut ne pas le croire) ainsi l’auteur nous laisse toute marge de manœuvre, et dieu sait qu’il a découpé le caractère de Kate suffisamment pour que l’on se méfie ou au moins que l’on ait pleine conscience de la relativité de son point de vue. Ce qui est trompeur c’est d’ailleurs qu’on a l’impression qu’il le fait à dessein (expliciter comme ça les biais de Kate) pour que l’on en joue dans notre appréhension des autres personnages/expériences, par exemple le tout début, la présentation de Owen et Villiers tellement caricaturaux dans le regard de l’auteur qui les JUGE ouvertement (qui est celui de Kate également on le sent, même si elle ne se l’explicite pas, l’auteur prend pour lui ce qu’il ne peut lui faire dire parce que c’est trop tôt, et subrepticement il nous incite à prendre parti en donnant une description si caricaturale; mais en même temps il montre Kate sous un jour très « tranché » aussi –pour ne pas être le dit d’avoir pris parti et montrer que c’est son point de vue à lui et qu’il respecte les règles du roman) ; ainsi à la fois : tous les personnages sont égaux sous le regard (et la création) de l’auteur, ainsi, suggérant que c’est le regard de Kate qui sera prégnant mais nous la montrant dans le même temps si caricaturée, il nous enjoint à la circonspection concernant ce qu’elle va juger ou vivre, et nous enjoint par ce fait à l’ouverture.

    et parfois ils agissent et on ne nous donne aucun motif, alors certes on se les figure mais comme jusqu'ici tout était fourni là on est pris au dépourvu et on oublie de faire appel à interprétation

    ECRIRE CA C’EST COMME SI TU DISAIS QUE FLAUBERT A ECHOUE PARCE QU’IL A ECRIT UN ROMAN TOUT PLAT (alors que c’est ce qu’il a voulu faire)
    A lieu de toujours partir de ta propre conception, demande toi un peu pour une fois ce qu’a voulu faire l’auteur et accorde-lui d’emblée un peu de crédit.

    Alors : on recommence : qu’a voulu faire Lawrence ?
    [moi je crois quand même que ce roman est mal fait –au delà de toutes ces qualités]

  • Moi (M.Tsvetaieva)

    Moi, tellement vivante et vraie sur le sol caressant.
    —A tous— puis-je scinder, dans mon outrance, en miens et étrangers ?
    Je vous demande une pleine confiance, je vous prie de m’aimer.

    De jour, de nuit, par oral ou écrit : pour mes « oui », « non » cinglants,
    Pour être si souvent beaucoup trop triste, et n’avoir que vingt ans,

    Pour mon pardon certain des offenses passées,
    Pour mon incontenable et immense tendresse,
    Pour mon trop fier aspect,

    Pour la vitesse folle des temps forts, pour mon jeu, pour mon vrai,
    — Ecoutez-moi !— il faut m’aimer encore
    Du fait que je mourrai.

    Marina Tsvetaeva, 8 dec. 1913.

  • Ma mère et la musique

    Oh que ma mère était pressée : le notes, les lettre, les Ondines, Jane Eyre, Anton Goremyka, le mépris de la douleur physique, Napoléon à Sainte-Hélène, seul contre tous, seul —sans personne, comme si elle savait qu’elle n’aurait pas le temps, que de toutes façons elle n’aurait pas le temps pour tout, que de toutes façons elle n’aurait le temps pour rien ; alors voilà, il fallait au moins cela et encore juste cela et encore cela, et cela aussi… Afin que nous ayons ce qu’il faut pour l’évoquer ! Afin de nous nourrir une fois pour toute dans la vie. De sa première à sa dernière minute, elle n’a cessé de donner, de nous gaver, sans rien laisser reposer ni se tasser (sans nous laisser nous apaiser), elle nous a inondées, remplies à ras bord —impression sur impression et souvenir sur souvenir —comme on bourre une malle déjà trop pleine (la malle s’avèrera être sans fond, du reste), sans y prendre garde ou exprès ? Enfonçant au plus profond le plus précieux afin qu’il se conserve plus longtemps loin des yeux, en réserve, pour la dernière extrémité, lorsque « tout a été vendu » et qu’à la recherche de quelque chose encore, on fait un dernier plongeon dans la malle et là, il y a encore —tout. Afin qu’à la dernière minute, le fond offre tout de lui-même (ô inépuisable fond de malle de ma mère, offrande incessante !). Ma mère semblait s’enterrer vivante à l’intérieur de nous, pour l’éternité. En nous elle donnait un corps aux choses invisibles et impondérables, chassant ainsi à jamais hors de nous tout ce qui est visible et pesant. Quel bonheur que tout ceci ait été non science mais Lyrisme, ce dont il n’y a jamais assez et à ce double titre : comme l’affamé qui n’a jamais assez de tout le pain de l’univers et comme dans le monde il n’y a jamais assez de radium ; c’est ce qui est par nature manque de tout, manque de soi, et qui pour cette seule raison cherche toujours à saisir les étoiles — ce dont il ne peut jamais y avoir en trop, parce qu’il est en lui-même trop, parce qu’il est en lui-même trop, tout le trop-plein de douleur et de force, trop-plein de force s’en allant en douleur qui remue les montagnes.
    Ce n’était pas une éducation, c’était une mise à l’épreuve. Ma mère mettant à l’épreuve la force de résistance de notre cage thoracique —allait-elle céder ? Non, elle n’a pas cédé, au contraire elle est devenue si vaste que par la suite et même maintenant rien ne peut la remplir ni la nourrir. Ma mère nous faisait boire à la veine ouverte du Lyrisme tout comme nous plus tard, ayant ouvert les nôtres, nous nous efforcions de faire boire à nos enfants le sang de notre propre douleur. Leur bonheur est que ce fut un échec, le notre — que ce fut un succès.
    Après une mère comme elle, il ne me restait plus qu’une chose à faire : devenir poète. Afin de disperser ce qu’elle m’avait donné, ce dont qui m’eût étouffée ou transformée en violateur de toutes les lois humaines.


    Marina Tsvetaeva, Ma mère et la musique, p.51.



    A quoi maman m'a fait dire par Chloé qu'elle n'avait rien compris, et Matthieu m'a répondu qu'il avait toujours trouvé superbe ma cage thoracique. Il s'agit de papa et moi bien sûr, mais -- où l'on voit pourquoi je ne suis pas du tout poète-- le Lyrisme en moins. Que reste-t-il? La mise à l'épreuve.

    Autre chose, il faut être honnête: papa a tout fait pour nous et rien pour lui. Il ne s'agit pas de cet égoïsme immature de la mère Tsvetaieva.
    Mais en fait cela revient au même: faire pour nous en l'occurence revenait à faire pour lui, car tout ne visait qu'à réparer l'inadéquation/imperfection/inexactitude qu'il se sentait incarner --avec toute sa propension à se sentir incarner les choses. La FELURE n'est-ce pas, on reconnait donc déjà la vacuité de l'entreprise (ceci dit ce thème rachète l'intention... c'était pour l'épargner à ses descendants!)... Autrement dit: bien naturellement, ce qu'il a fait (moi) il l'a fait selon ce que lui pensait être le bien pour un être humain. Ce bien, il le définit par rapport à sa propre imperfection/fêlure. Or si l'on se place de son point de vue (ce qui est impossible, je pressens donc la conclusion absurde ou révélatrice), on voit bien que me faire/praxis moi était la seule chose qui pouvait lui apporter la paix. Seul un acte le pouvait. Un acte = une modification; c'est l'histoire de la praxis/poesis mais ici par proccuration car le sujet (papa) n'est pas modifié lui-même par l'acte (il ne le peut pas il est trop tard, d'où la nécessité d'un acte et non d'une analyse), c'est la modification de l'autre --l'enfant, son "engendré"-- qui compense son propre déséquilibre. Une vrai mythe grec, quoi. Cet acte, effectué en accord avec lui-même (avec son vouloir-être = son moi profond puisqu'on n'est réellement que notre tension vers notre "nous" authentique voulu) lui restitue son propre accord. A celà s'ajoute la précieuse et unique gratification d'un tel acte, moral et juste (accord), qui répare son imperfection à lui, sa dissonance pour lui restituer enfin un son rond et plein.

    Hey, tu parles de quoi, là? Tellement rond et plein qu'il n'y a cas voir sa mort, tordue et vide...