J’arrive dans la première salle plein à craquer : c’est samedi. Le premier tableau sur lequel on tombe (ou le premier dont je me souviens), elle me dit « c’est celui-là » ; je regarde, bien, merde! je ne vois rien. Wow, il va y avoir du boulot. Je ne comprends pas et je ne comprends même pas comment je pourrais comprendre. Je fais le tour de la salle, le front plissé, je vais avoir du mal à accepter mon opacité surtout quand elle, elle est plantée devant le même tableau, les larmes aux yeux. Bordel ! je ne vois que des petites tâches de couleurs, partout des osties de petites tâches et de traces de pinceau. Je regarde d’un œil narquois ces paysages cul-cul, je marche vite, je lis sur le « lumière merveilleuse de la Provence si bien restituée par la peinture extérieure, merci Cézanne ». J’haïs cette attitude là, mais c’est comme si je me trouvais dans un party de fin de session de Gestion, je veux juste partir avant de commencer à mépriser le monde. Mais là elle, elle voit tout et elle reste… Alors je tourne en rond dans la salle, je bout un peu de rage, elle essaie de m’expliquer, le mouvement, la vie, la magie, je ne vois toujours rien. Bon. Vu mon estime pour cette fille, je ne peux pas me résoudre (ce qui m’est tellement facile d’habitude) à décider que ça ne m’intéresse pas. Je retrousse mes manches, là ça suffit de me sentir stupide, ça m’exaspère. C’est comme un bouquin de philosophie, me dis-je, si c’est là, c’est bien qu’il se passe quelque chose d’ontologique (le mot qui fait bien et veut dire « important »). Au bout d’une heure pantée là, au bout de la salle, les yeux vaguement fixée sur le Grand Pin ou un autre semblable, je croyais m’assoupir et là pouf ! je me rend compte que les petites tâches de couleurs ont disparues, je vois du vent. Wow. Je me réveille : ok, c’est encore cette histoire de distance, il faut être assez loin, comme pour l’expo sur Anselm Keiffer. Je recule et je fais l’effort sur un autre : et là l’hallu ! Au bout de 10 minutes d’assoupissement (j’ai l’impression de ne plus regarder) tout d’une coup je sens le vent tiède, l’odeur des pins, la terre brûlante et l’ombre plus fraîche. Je sens les pins qui dansent. C’est très curieux : si je regarde le tableau comme représentation du réel, donc en effectuant inconsciemment un genre de comparaison, je ne vois rien, que des tâches, que des couleurs trop criardes, que le « -isme » de « impressionnisme ». Mais ce n’est pas par le réel qu’il faut entrer (le piège c’est que c’est une représentation tout de même mais il faut l’ignorer), c’est par tous les différents éléments sensoriels (on pourrait presque dire « données » tellement c’est brut et détaché de l’image) qui sautent hors du tableau, et qui n’ont pas de cohérence si on regarde le tableau selon l’ordre de la représentation mais qui s’accordent entre eux dès lors qu’on oublie ce qu’on voit et qu’on se rend à l’ordre des impressions. Un autre paysage apparaît alors dans lequel je suis, totalement sollicité dans tout mes sens, je n’ai plus qu’à regarder autour et à ouvrir mes pores. J’entends le vent dans les arbres et je m’allonge à côté de la maison. On y est. C’est magique, ça marche. Etrange.
On sort toutes étourdies, moi gratefull so much comme d’habitude, so much. J’ai vu quelque chose de nouveau, ça n’arrive jamais les journées où l’on voit quelque chose de nouveau.