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Napoléon, Jésus, le pape et le poète

Pour la question sur la poésie: je m'exprime donc fort mal à nouveau, j’ai des problèmes de niveau de réalité. En fait, quand je dis "Est-ce que la poésie des poètes peut être expliquée sociohistoriquement…", par « poésie des poètes », j’entends l'expérience d'écrire des poèmes. Ou plutôt je désigne le fait qu’il y ait des choses comme la "poésie", je me questionne sur ce que ça signifie : que ces choses traduisent une expérience absolument singulière. C'est-à-dire que je m’interroge sur le phénomène Poème, avec un P majuscule parce que c’est le symbole d’un dépassement de l’expérience usuelle réaliste du réel (qui n’est pas peu, cette expérience, elle est tout).

Par exemple dans Le Diable de marina Tsvetaieva : il y a un poêle gris dans la chambre de Valérie, c’est un poêle parce qu’on peut s’y chauffer. Le mot « Poêle », quand je m’y chauffe, veut dire poêle. Mais dans un poème, « poêle » peut vouloir dire n’importe quoi. En l’occurrence, si Tsvetaieva petite voit un diable assis sur le lit à la place du poêle, alors c’est un diable. Le poème incarne donc l’expérience (réelle !) d’un monde où un poêle est le diable, par exemple! Et surtout qui peut décider s’il s’agit du poêle gris ou d’un diable à tête de dogue ! Ce n’est pas clair, je sais. Mais à vrai dire ce n’est pas le propos, c’est juste pour montrer le poids que je vois dans cette stupide question.

Il s’agit du Poème comme signe (résultat) d’une expérience (souvent il est l’expérience elle-même). C'est-à-dire finalement que le phénomène Poème représente, pour moi, l’excédent de sens que seul l’homme peut produire. Enigme. Il représente (d’où le P) ce qui dépasse le donné, qui est pourtant la seule chose (si immense !) que nous ayons : « à ce titre, tous les arts sont poème…En tant que « don » qui est surabondance inexpliquée par rapport au déjà-donné, à l’habituel, l’art véritable est Poème. Il dit toujours plus qu’il ne représente » dixit mon livre sur la poétique de la foi, parlant de Heidegger. Voilà ce qui est fou : l’homme « habite en poète » son monde. Non seulement il l’habite au sens fort où il en est le gardien, au sens ou il n’y a pas de monde sans l’ouverture de la signification qu’il effectue, mais PLUS que ça (il ne se contente pas d’attribuer le sens de « chauffage » au poêle, parce qu’il s’y chauffe), il peut ouvrir ce qu’il veut comme monde, et il vit ces mondes de fou (pour moi ce qui compte c’est l’expérience, et à ce titre il n’y a pas de différence entre une expérience vécue seulement à l’intérieur et une expérience « réelle »). Et de ça, l’existence des poèmes est la preuve, le signe, le résultat, et la possibilité de le communiquer.

Voilà ce que je demandais à la forme négative : un tel phénomène peut-il être éclairé par une approche socio-antropologico-historique ? C’est juste que si je réfléchis à pourquoi la socio-politique ça ne m’intéresse pas vraiment, c’est que ce qui m’intéresse sont des phénomènes plus universels, à mon avis plus profonds, sur lesquels l’analyse socio-anthropoetc… d’après moi n’a aucune prise (en a mais à un niveau parfaitement sans conséquence pour ce qui nous occupe). C’est une question capitale : si un poêle peut être vécu comme un diable, alors c’est peut-être un diable. Ahahah ! J’aimerais beaucoup, effectivement, éclairer ça.

Tout phénomène est par définition dans la lumière (phôs, en Grec, la lumière, et phainoménon…etc), mais justement il faut faire l’effort de comprendre ce que ça signifie, ce fait là, ce phénomène là, le fait que ça arrive (que ça se manifeste), pour l’essence de l’humanité. Llorsque je dis « ce que ça signifie » je dis : qu’est-ce qui en résulte comme éléments ontologiques ? Il faut toujours tirer les conclusions ontologiques des choses, sinon on ne fait qu’une énumération de propriétés sans portée aucune, c'est-à-dire qui ne fait pas avancer l’humanité (la compréhension de l’humanité) d’un iota. C’est de ça que je parlais aussi quand je disais que les gens en général parlent mais ne savent pas ce que signifie ce qu’ils disent.

Quant aux études littéraires en général, je ne pense pas qu’elles aident à poser ce genre de question, voire même l’inverse : on s’occupe de la poésie (ok, sans l’éclairer ni l’expliquer et tout, normal ça ne s’y prête pas, ce qu’on y fait est cependant bigrement intéressant, chercher à ressaisir l’expérience singulière que le poème traduit…), certes, mais l’attention portée à l’objet nous fait oublier de tourner le regard vers le phénomène lui-même : c’est quoi, un poème ? L’un n’empêche pas l’autre, c’est sûr, mais une préoccupation détourne d’une autre, souvent. C’est tout.

Je trouve très très drôle qu’à mon affirmation « je vais être une poétesse symboliste russe » D. me réponde « et moi ? ». Et elle…éh bien, puisqu’elle me demande…elle sera Napoléon. C’est hyper drôle ! Mais ce doit être seulement une manière en anglais de dire « mon cul », c'est-à-dire « pourquoi pas le pape tant que tu y es », quoique je ne voie pas pourquoi elle ne serait pas le pape, puisqu’on se situe déjà dans un niveau de possibilité tout particulier puisque je suis Jésus! Le poêle gris peut bien être le diable et elle le pape ou Napoléon! Voilà encore l’importance immense (cette fois psychologique) de la question. De tout cela dépend le fait que je puisse être Jésus —ou une poétesse symbolique russe—. Moi je me vis Jésus (d’où le « feeling » Jésus), ça ne dépend pas des autres, c’est une expérience. Donc pour moi je suis Jésus, puisque je le vis. Irréfutable. C’est tout. En fait ce que j’essaie de montrer depuis le début, c’est que je suis un poète !! Ridicule. J’aurais dû commencer par là. Oups, je n’avais pas compris que toute cette montagne ne servait qu’à tenter de justifier philosophiquement ma non-réussite sociale, ma marginalisation eu-égard au marché du travail et à la réalité, pour m’en déculpabiliser ! Donc je ne suis vraiment pas originale, parce que tout cela peut être résumé en « moi je suis un poète et je vous emmerde »…

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